Fondements de la bioéthique

Le rapport Belmont


Procès de Nuremberg. Les accusés dans leur box, 1946.
 

Nul ne peut aujourd’hui nier les apports positifs de la recherche scientifique sur la qualité de vie des êtres humains. Cependant, l’indicible cruauté perpétrée contre des sujets humains, durant la Seconde Guerre mondiale, a outré l’humanité. Suite à ces viols des droits humains, d’autres scandales ont soulevé l’indignation générale aux États-Unis, ce qui amena la création de la National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research, en 1974. Le rapport final de cette commission, le Belmont Report, a été déposé après quatre années de délibérations mensuelles et de consultations d’experts spécialistes. On a retenu et défini trois principes fondamentaux qui servent depuis d’assise à l’éthique de la recherche.

Contexte historique :

Après la guerre 1939 – 1945, les États-Unis instituèrent un Tribunal militaire qui devait juger les médecins nazis que le Tribunal militaire international contre les crimes de guerre n’avait pu juger. Les juges trouvèrent les accusés coupables en se fondant sur des normes qu’ils avaient d’abord édictées et qui sont maintenant connues sous le nom de Code de Nuremberg (1). À l’époque, les scientifiques américains ne se sentaient aucunement concernés par ces atrocités, affirmant que « les véritables chercheurs n’avaient rien à apprendre de cette expérience (2) », les actes perpétrés n’étant, selon eux, que le fruit de sadiques fonctionnaires (nazis). En 1962, le scandale de la thalidomide a amené l’Association médicale mondiale à adopter la Déclaration d’Helsinki (1964).

Il a fallu attendre la dénonciation de Beecher (3), un professeur d’anesthésiologie de Harvard qui a alerté l’opinion publique américaine en répertoriant vingt-deux études, en 1966, menées aux États-Unis, qu’il jugeait non-éthique. La même année, les autorités américaines mirent sur pied les Institutional Review Boards (IRB), comités chargés de l’examen des conditions éthiques des recherches sur l’être humain. Cette initiative fera l’objet d’une loi en 1971 au sein du Department of Health, Education and Welfare américain (DHEW). Finalement, c’est suite à l’affaire Tuskegee, portée à l’attention du public en 1972, que le Congrès américain mit sur pied, en 1974, le Comité national qui rédigea le rapport Belmont.

Les principes éthiques fondamentaux du rapport Belmont

Afin d’assurer la pérennité du rapport, le Comité a choisi de fonder son analyse sur trois principes éthiques fondamentaux : le respect de la personne, le principe de bienfaisance et celui de justice. « Ces principes font référence à des jugements d’ordre général qui servent de justification élémentaire à de nombreuses prescriptions particulières de la morale et aux évaluations des actions de l’homme (4). » Le respect de la personne place l’autonomie individuelle au cœur du débat en assurant de protéger les sujets qui n’ont pas l’aptitude à l’autodétermination.

Nécessitant que les sujets de recherche s’engagent en toute liberté, ce principe dénonçait les expériences faites notamment sur des prisonniers portés « volontaires ». Le second est le principe de bienfaisance que certains auteurs distinguent du principe de non-malfaisance. Il garantit que les sujets de recherche sont traités avec éthique, que leurs décisions sont respectées, qu’ils sont protégés contre les dommages éventuels et que des efforts sont faits pour assurer leur bien-être. Ce principe fondamental en médecine a été rendu célèbre par la maxime d’Hippocrate : Ne faites pas de tort.

Dans le domaine de la recherche, pareillement, il est impératif de ne pas blesser une personne, qu’importe les avantages que d’autres pourraient en retirer. L’exposition à un risque malfaisant peut, certes, être nécessaire afin de démontrer un processus de malfaisance, cependant, il s’agit d’identifier, selon notre meilleur jugement, quand la poursuite de certains avantages justifie ou non les risques encourus. Les institutions sont alors obligées de prévoir le maximum d’avantages et la réduction des risques pouvant résulter de l’enquête de recherche. Finalement, le principe de justice nous questionne à savoir qui doit recueillir les avantages de la recherche et qui doit en porter le fardeau? Faisant suite à deux siècles de recherches médicales effectuées principalement sur les patients pauvres alors que les avantages des soins médicaux améliorés allaient aux patients du secteur privé, ce principe vise surtout à contrecarrer toute forme de discrimination dans le choix des sujets de recherche.

Idée centrale du rapport :

Une des idées centrales du rapport Belmont est le principe de justice. Je considère ce principe primordial, dans ce cas-ci, puisque les scandales qui ont incité la tenue de cette commission nationale sont le fruit d’injustices flagrantes. Que l’on pense aux recherches sur la syphilis chez les noirs américains pendant plus de 40 années, à l’utilisation de prisonniers, de handicapés mentaux ou de personnes âgées dans des expériences potentiellement nocives, le principe de justice revêt une importance capitale. Le droit à un traitement équitable où tout un chacun sommes égaux est un principe fondamental, et cela est encore plus vrai lorsqu’il est question d’éthique. Le théologien et juriste Guy Durand évoque que la plupart des auteurs classiques en bioéthique retiennent la justice parmi les principes de base (5). La justice jouant d’abord un rôle fondamental sur le plan de l’harmonie sociale, de nombreuses questions en bioéthique relèvent, d’une façon ou d’une autre, de la justice : justice distributive, justice sociale, équité (6). Durand ajoute qu’ « une réflexion qui est juste permet ainsi de définir et de justifier des objectifs globaux devenus acceptables par tous dans une perspective de consensus (7) ».

Selon Durant, « il y a justice quand on obtient ce qu’on mérite, on reçoit ce qui est dû, on recueille ce à quoi on a droit (8) ». Aussi, le besoin de reconstruire la confiance du public envers l’élite scientifique nécessite un respect quasi absolu de ce principe fondamental.

Au-delà du consentement où les participants des recherches ont la possibilité de choisir ce qui leur arrive, du caractère volontaire que constitue un consentement éclairé, de l’évaluation systématique des risques et des avantages, du principe de bienfaisance et de respect de la personne, le principe de justice prime sur tout le reste, puisqu’il vise à protéger les personnes les plus vulnérables. Le rapport Belmont insiste sur le fait que toute forme de manipulation qui prédisposerait certains à devenir sujets de recherche doit être nécessairement proscrite (9).

Conclusion :

L’éthique de la recherche sur les êtres humains a été exhortée par les événements les plus sombres de notre histoire. Le jugement des criminels, après la Seconde Guerre mondiale, n’a pas été en mesure d’interpeller les scientifiques mondiaux. Ce n’est qu’à la suite de la dénonciation de nombreux scandales très médiatisés aux États-Unis que les autorités américaines ont ordonné la mise sur pied d’une Commission nationale visant à poser les balises éthiques à toute recherche chez l’humain (10). « Les travaux de la Commission représentent l’étude la plus complète qui n’ait jamais été faite des problèmes éthiques que soulève la recherche faisant appel à des sujets humains . »

Cependant, les normes éthiques qui procèdent de ces travaux restent très complexes à mettre en application. Plusieurs obstacles se dressent devant les objectifs des bioéthiciens. Premièrement, les scientifiques, encore aujourd’hui, considèrent les règles bioéthiques comme une adversité qui met en péril la conduite de leurs recherches. Une autre grande difficulté étant que les autorités politiques et gouvernementales utilisent la bioéthique, comme dans d’autres secteurs de la vie sociale, pour se donner bonne conscience, en imposant des lois qui s’avèrent inapplicable dans la réalité, compte tenu des moyens mis à disposition.

Bibliographie :

1 DOUCET HUBERT, « Développement des concepts et des enjeux en éthique de la recherche » Page Web, Revue Pistes UQAM, volume 3, no 1, mai 2001.

2 ROTHMAN DAVID J., Ethics and Human Experimentation : Henry Beecher Revisited, The New England Journal of Medicine (New York), 1987, p. 1195 (traduit par Hubert Doucet)

3 BEECHER Henry K. Ethics and Clinical Research, The New England Journal of Medicine, vol 274 (New York), 1966, pp. 1354-1360.

4 The National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research, Belmont Report, 1974, p. 4.

5 DURAND GUY, Introduction générale à la bioéthique Histoire,
concepts et outils, Fides, (Montréal), 2005, p 264.

6 DURAND GUY, Introduction générale à la bioéthique Histoire,
concepts et outils, Fides, (Montréal), 2005, p 265.

7 DURAND GUY, Introduction générale à la bioéthique Histoire,
concepts et outils, Fides, (Montréal), 2005, p 265.

8 DURAND GUY, Introduction générale à la bioéthique Histoire,
concepts et outils, Fides, (Montréal), 2005, p 269.

9 The National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research, Belmont Report, 1974, p. 15.

10 LEBASQ Karen, Profil et analyse critique des recommandations de la Commission nationale, Médecine et expérimentation, p. 267.